Diénaba Mballo, 21 ans et étudiante à l’Université Amadou Moctar Mbow de Dakar, a-t-elle fait preuve d’audace, de conscience citoyenne ou a-t-elle voulu tout juste user de sa liberté d’expression pour mêler sa voix au concert d’appréciations, si différentes les unes des autres, sur l’initiative étatique de doter les élèves du Sénégal d’uniformes scolaires pour un coût annuel de 10 milliards de F Cfa ? Pour celle qui s’est classée première de la promotion 2021 avec une moyenne semestrielle (1er semestre) de 16,58 en première année à la grande Ecole des sciences et techniques de l’ingénieur, «les uniformes à l’école c’est bon. Cela empêche les filles, démunies surtout, de tenter de paraître comme les autres sans se soucier du comment obtenir ces vêtements. C’est faisable dans certaines localités. Mais chez nous, la priorité est ailleurs. C’est dans l’accès de tous aux Tic. J’en ai beaucoup souffert à l’Université. J’y suis allée sans aucune notion d’informatique alors que là-bas nous sommes traités comme si tout le monde maîtrisait cet outil. La dotation suffisante des écoles en tables-bancs est également une priorité dans nos zones. Si le choix est laissé aux académies, Kolda devra reporter pour des années encore la généralisation du port de l’uniforme en attendant de régler les problèmes d’accès universel aux Tics, de résorption du gap en tables-bancs et de la suppression des abris provisoires dans les écoles», a-t-elle tranché net.
Une brillante élève jamais célébrée
Pour Diénaba Mballo, née de parents paysans, qui n’ont pas fréquenté l’école française, à Vélingara il y a 21 hivernages, le sang ne détermine pas le rang à occuper dans les salles de classe, encore moins constituer un frein pour les ambitions à nourrir. Elle a brillé de mille feux dans son cursus scolaire, de l’élémentaire au secondaire, avec une mention Bien à l’examen du Baccalauréat au lycée Chérif Samsidine Aïdara de Vélingara, session 2020. Taille moyenne, svelte, teint clair, sourire éclatant, cheveux tirés en boucle au milieu de la tête, Diénaba raconte son parcours scolaire : «A l’élémentaire, j’avais particulièrement un penchant pour les leçons d’histoire, de géographie et la résolution de problèmes. Au moyen et au secondaire, j’ai toujours reçu les meilleures notes en Maths, Sciences de la vie et de la terre et en Physique et chimie.»
Papa Kathim Fall, professeur de sciences physiques au lycée Chérif Samsidine Aïdara de Vélingara, témoigne : «Diénaba fut l’une de mes meilleures élèves en sciences physiques. Déjà en classe de Seconde, grande débutante de la discipline, elle recevait des notes de 16/20, 15/20. Ce qui n’était pas évident pour un élève qui commence la discipline en classe de Seconde. Et puis très cool. Il fallait que je trouve les moyens de la réveiller pour qu’elle participe en classe.»
Bourama Sagna, prof de français dans le même lycée, ajoute : «Un modèle d’élève, cette Diénaba. Une anecdote. En classe de Première S1, après la première évaluation, elle a eu une note de 7/20. A la fin du cours, elle m’a suivi pour chercher de l’aide dans cette discipline. C’est rare de voir des élèves de la série S1 s’intéresser au français. Je l’ai conseillée et lui ai donné une documentation. Au 2ème semestre, elle a pu avoir une moyenne de 14 en français. En classe de Terminale, il était difficile de trouver une faute sur sa copie. On ne lui rappelle jamais à l’ordre en classe. Sage comme une image. Deux ans de suite je n’ai jamais enregistré une absence de cette élève». «C’est nous parents qui avons des comptes à rendre à cette fille. Elle nous a toujours donné satisfaction, à l’école comme dans la vie courante. Malheureusement, nous n’avons pas pu réunir pour elle les conditions pour être à l’aise», regrette son papa, Oumar Mballo. Aussi peut-on comprendre que son cursus ne fut pas un long fleuve tranquille. Elle devait jouer à la domestique pendant les vacances pour préparer l’année scolaire à venir. «Je l’ai fait pendant 2 années consécutives, en classe de Seconde et Première. Je renonçais aux vacances scolaires pour aider la maman à faire le petit commerce à son étal placé à domicile pour trouver les moyens de m’assurer le minimum à la prochaine rentrée des classes», a-t-elle informé, quelque peu gênée, en apparence. C’est dans ces conditions qu’elle a obtenu le Baccalauréat avec mention Bien en 2020, au lycée de Vélingara, et puis elle s’est classée première avec une moyenne de 16,58 en première année à la grande Ecole des sciences et techniques de l’ingénieur à l’Université Amadou Moctar Mbow de Dakar. Tout cela, dans l’anonymat, sans bruit, dans l’ombre. Sans jamais avoir droit aux «arrosages» traditionnels organisés à l’honneur des nouveaux diplômés.
«Je veux me spécialiser en Systèmes énergétiques et électriques»
Sa condition sociale ne l’empêche pas de voir les choses en grand, de nourrir de grandes ambitions pour elle-même, pour sa communauté et pour son terroir. Elle dit : «Je veux suivre des études supérieures en Systèmes énergétiques et électriques. Notre Université ne dispose pas de la filière. J’ai sollicité et obtenu une préinscription à l’Institut Galilée Paris-Sorbonne. J’ai même reçu un visa de la France sans avoir l’assurance que les moyens financiers vont suivre pour être là-bas à la rentrée.» Elle poursuit : «Mon ambition c’est d’aider les villages du Sénégal qui n’ont pas accès à l’électricité à l’avoir dans des conditions souples, trouver les moyens de soutenir mes parents, mes proches et tout le monde.»
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