Les résultats qui ont commencé à tomber hier des différents bureaux de vote annonçaient un véritable triomphe pour le candidat Bassirou Diomaye Faye, de la Coalition «Diomaye Président». Aussi bien à l’étranger, dans la diaspora que dans les régions, à l’exception des départements du Nord, Saint-Louis, Podor et Matam, le candidat parrainé par le Pastef de Ousmane Sonko a dominé ses rivaux de la tête et des épaules, et semblait se diriger vers une victoire au premier tour. Une prouesse que bien de personnes n’attendaient pas, ou du moins, pas à de tels niveaux. Surtout pour un candidat de substitution qui vient de passer près d’une année en détention.
D’une certaine manière, on peut se demander si Bassirou Diomaye Faye n’a pas récolté les fruits du travail de Macky Sall depuis le samedi 3 février. Ce jour-là, alors que la campagne électorale devait démarrer dans une dizaine d’heures, pour le vote du dimanche 25 février 2024, Macky Sall a décidé de reporter le scrutin. S’appuyant sur des accusations portées par le Parti démocratique sénégalais (Pds) dont le candidat venait d’être recalé par le Conseil constitutionnel pour des questions de double nationalité, le Président sortant a demandé à ses députés de soutenir une motion pour la mise en place d’une commission parlementaire qui devait faire la lumière sur des accusations de corruption à l’encontre de deux membres du Conseil constitutionnel et du Premier ministre du gouvernement. Et comme toujours, après avoir évoqué une crise institutionnelle, il en a profité pour appeler à un autre dialogue.
Un dialogue boudé par la majorité des candidats qualifiés pour la Présidentielle, mais approuvé par le Premier ministre, candidat de la coalition au pouvoir, sur lequel planaient des accusations de corruption de magistrats. De ce fameux dialogue, ne sortira en fait véritablement que l’idée d’une amnistie, qui permettra de sortir Ousmane Sonko et son compère Bassirou Diomaye Faye de prison, en plus du millier de personnes qui avaient été interpellées à la suite des troubles que le pays a connus depuis le mois de mars 2021, lors de l’arrestation de Ousmane Sonko à la suite de la plainte de Adji Sarr pour viols répétés.
La décision d’amnistie visait à passer l’éponge sur les conséquences de ces troubles, et les nombreux morts qu’ils ont occasionnés. Plus de 60 morts, et leurs proches ne connaîtront jamais justice. Des centaines d’autres personnes ont perdu beaucoup de biens dans les saccages lors de ces évènements. Personne ne les indemnisera. Et elles n’auront même pas un mot de compassion de la part des autorités, du fait de cette amnistie.
Cette situation et le traitement que Macky Sall a réservé à son «champion» condamnaient inévitablement Amadou Ba à l’échec. Alors que l’ancien Premier ministre avait été choisi par Macky Sall lui-même pour représenter sa coalition, il a très rapidement fait l’objet d’ostracisme dans son propre camp. Tous les partis alliés le plébiscitaient, au contraire des ténors de l’Apr qui, pour beaucoup, semblaient considérer qu’il ne représentait pas leur camp.
Dès leur sortie de prison, Sonko et Diomaye remobilisaient leurs troupes pour battre campagne, Sonko s’activant à cacher les faiblesses de son poulain pour ne mettre en avant que le mot d’ordre : «Sonko mooy Diomaye.» Le pauvre Amadou Ba se retrouvait lié à un cabinet de campagne dont il n’avait pas choisi tous les membres, et ne disposant même pas de fonds de campagne. Un paradoxe quand tout le Sénégal se souvenait des paroles de Macky Sall, promettant de battre campagne aux côtés de «son» candidat. Ce n’est qu’à une dizaine de jours de la campagne que l’on a vu des ténors du gouvernement et de l’Apr commencer à s’agiter et tenter de mettre les bouchées doubles pour le compte de Amadou Ba. Et il a fallu une injonction de Macky Sall pour les voir se bouger. Mais lui-même ne s’est jamais affiché publiquement aux côtés de Amadou Ba.
Mieux encore, en écartant Amadou Ba du gouvernement, le Président en a profité pour dépouiller tous les membres du gouvernement qui l’ont publiquement soutenu, à l’exception de Abdoulaye Saydou Sow. Les détracteurs de l’ancien Premier ministre eux, ont été confortés dans leurs positions, leur permettant de continuer à invectiver le candidat de leur camp. Comme si dans le fond, ce pour quoi ils auront vraiment travaillé, c’est la défaite de leur champion…
Par Mohamed GUEYE – [email protected]