Sonko répond au président de l’Ums Le président de l’Union des magistrats du Sénégal, qui a fait face à la presse hier lundi, a fustigé des attaques contre l’institution judiciaires et les magistrats, notamment dans le dossier Adji Sarr. Ousmane Sonko, dans un long porte, a tenu à lui répondre. Ci-desosus son texte.
« Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice ». Montesquieu.
Monsieur le président de l’UMS, le manque de sincérité qui ressort de vos propos trahit d’emblée votre parti-pris flagrant et la frilosité qui caractérise désormais votre organisation « syndicale ». En guise d’illustration, en juriste de formation dont vous dites qu’il « ignore le fonctionnement de la justice », je ne vous opposerai que des faits, rien que des faits :
- Parlant de moi, vous dites : « Certaines personnes ne comprennent pas le fonctionnement de la justice
Nous ne sommes pas là pour polémiquer avec qui que ce soit mais, pour clarifier certains points. Avant de critiquer la justice, il faut connaitre comment elle fonctionne. Il ne faut pas se focaliser sur ses propres intérêts pour critiquer l’institution sans connaitre ses règles de fonctionnement. On fait croire que la justice est là pour servir.
Il faut que les gens acceptent de perdre et de gagner en toute bonne foi et en toute logique ».
Plus tard, dans le texte liminaire et dans les réponses aux questions des journalistes, vous m’indexez nommément en affirmant que mon statut politique ne me mettait pas au-dessus de la loi et que j’aurai attaqué l’institution judiciaire et des collègues à vous.
Et sur la sortie de la partie civile dans les médias étrangers, vous dites : « Je sais qu’il y a une sortie mais honnêtement je n’ai pas lu ce qu’elle a dit. A vrai dire ce qui nous amène à cette situation ce sont les sorties dans la presse des deux camps. Chacun des deux camps plaidant avoir raison alors que celui qui détient le dossier ne s’est pas prononcé ».
A ce niveau donc, Monsieur le Président de L’UMS, vous avez eu le temps d’écouter religieusement ma seule et unique sortie depuis un an sur l’affaire, mais refusé de vous donner la peine d’en faire autant pour les innombrables sorties de la partie adverse ; n’est-ce pas déjà un signe d’« impartialité » ?
Votre tentative de renvoyer les deux parties dos à dos est subtile et regrettable.
Permettez-moi, monsieur le « syndicaliste » de vous rafraichir la mémoire. Permettez-moi de vous lister toutes les sorties de la partie civile et de son conseil depuis un an maintenant que je suis placé sous contrôle judiciaire et empêché de sortir du territoire national:
Partie Civile (2 sorties)
17 et 18 mars 2021 sur Leral TV
2 mars 2022 RFI, Le Monde, Jeune Afrique
Avocat de la plaignante (11sorties au moins)
11 mars 2021 conférence de presse
28 mai 2021 conférence de presse
21 juin 2021 conférence de presse
13 oct 2021 sur 2stv
08 novembre 2021 sur TFM
25 novembre 2021 sur iTv
05 décembre 2021 sur Senego
08 décembre 2021 sur 2stv
06 janvier 2022 conférence de presse
31 Janvier 2022 conférence de presse
1er mars sur TFM
Durant tout ce temps, aucune sortie ni de moi ni de mes conseils, aucune réaction de l’UMS. - Vous étiez où, vous Union des magistrats face à ces violations flagrantes et ce piétinement de l’Institution judiciaire ?
- Où étiez-vous lorsque le juge d’instruction, refusait de laisser entrer mes avocats pour assister leur client lors de la première audition, en violation des droits de la défense ?
- Que dites-vous lorsque, depuis 9 mois maintenant, la justice refuse de répondre aux courriers de mes avocats tendant à la levée de cette mesure de contrôle judiciaire, n’est-ce pas là un déni flagrant de justice ?
- Vous étiez où lorsque le procureur Serigne Bassirou Gueye falsifiait le PV d’enquête de la Gendarmerie nationale pour y inclure des images à caractère obscènes uniquement pour charger le dossier ?
- Vous étiez où lorsque l’exécutif, qui n’a aucun égard pour vous, choisit un juge qui a déjà pris position à charge contre moi pour instruire l’affaire ?
- Où étiez-vous encore lorsque le fonctionnement de la justice a été partiellement perturbé par le fait, inédit, que pendant huit mois, un doyen des juges n’avait été nommé, laissant en rade bon nombre de dossiers et violant les droits des justiciables à prétendre à une réponse judiciaire à leurs demandes ?
Monsieur le Président, cette liste non exhaustive devait inspirer une attitude différente de votre part : quand on n’a pas le courage d’être juste, il vaut mieux se faire silencieux.
Les cas de violation politique des droits d’un justiciable sont nombreux, toujours avec l’instrumentalisation non pas de toute la justice, mais de quelques magistrats. - Qu’aviez-vous dit lorsque, dans sa décision rendu le 29 juin 2018, la Cour de Justice de la CEDEAO a jugé que :
- la détention de M. Khalifa Ababacar SALL par l’Etat du Sénégal et ses autorités policières et judiciaires est arbitraire depuis la proclamation des résultats des élections législatives jusqu’à la levée de son immunité parlementaire ;
- sa présomption d’innocence a été violée ;
- son immunité parlementaire a été violée ;
- son droit de se faire assister par ses avocats durant l’enquête préliminaire a été violé ;
- son procès organisé par l’Etat du Sénégal n’a pas été équitable ;
- la responsabilité de l’Etat du Sénégal par le truchement de ses autorités policières et judiciaires est engagée ?
L’UMS n’avait pipé mot.
Que n’aviez-vous, au nom du respect de l’institution judiciaire, eu les mêmes attitudes sur les violations soulevées dans le traitement de l’affaire Karim Wade et sur le parrainage par le Groupe de travail des Nations Unies et la Cour de justice de la CEDEAO ?
Avez-vous eu une réaction d’indignation quand un procureur du Qatar s’est immiscé dans notre chaîne judiciaire et administrative en participant à un exil forcé d’un opposant, qui, jusque-là est empêché de retourner dans sa patrie ?
Le régime en place n’en a cure, et vous non plus ! - Pourquoi n’étiez-vous pas monté au créneau lorsqu’en 2014, avec le soutien des députés de la majorité, monsieur Serigne Mbaye Thiam, alors ministre de l’éducation nationale, défia publiquement la justice en annonçant son refus de se conformer à la décision rendue par la Cour suprême à propos des 690 élèves-maître ?
- Pourquoi vous n’avez jamais eu le même courage de faire des sorties médiatiques lorsque des délinquants proches du régime sont pris en flagrant délit puis libérés pour vaquer à leurs occupations au moment où opposants politiques, activistes et autres contradicteurs du régime sont malmenés et embastillés sans fondement solide ?
- Où étiez-vous lorsqu’un ministre éconduisait des magistrats de la Cour des comptes venus les contrôler et assumer publiquement cet acte de rébellion ?
- Lorsque des ministres, DG et autres sont épinglés par des rapports des corps de contrôles sans aucune suite ?
- Vous n’avez même pas le courage de défendre vos propres collègues souvent pris en cabale par l’exécutif pour manque de docilité.
J’aurai pu prolonger cette énumération au risque d’allonger indéfiniment ce papier, car les cas sont innombrables, de manquements sur lesquels vous êtes restés aphone.
Monsieur le Président de l’UMS je sais que je n’aurai aucune réponse à ces questions. J’aimerai simplement vous dire que le corporatisme, je le connais mieux que vous. J’ai créé et dirigé un syndicat avant vous. J’imagine la pression que vous avez dû subir de certains de vos collègues depuis quatre jours, les plus anciens certainement . Vous n’avez pas parlé pour le droit et la justice, encore moins pour l’institution ; mais uniquement émis un signal positif à la chancellerie. Mais vos propos d’hier sont une intrusion inacceptable dans le dossier et même, en filigrane, des orientations données au juge d’instruction. Nous en prenons cependant acte !
Je conclurai par quelques précisions :
1- Je n’ai aucun problème avec la magistrature au sein de laquelle je compte énormément d’amis de tous âges, fonctions et grades et je demeure convaincu que l’écrasante majorité d’entre eux font leur travail avec honneur, loyauté et dignité ;
2- N’oubliez pas que vous n’êtes pas la justice, ni l’institution judiciaire pour parler à son nom : vous êtes un “syndicat“, une association corporatiste qui défend des intérêts de ses membres. À ce titre, vous n’êtes point habilité à parler au nom de la justice et de toute la justice que votre corporation partage avec d’autres acteurs professionnels et les citoyens ;
3- Rien ni personne ne peut m’empêcher de me défendre et de dénoncer l’entreprise de liquidation lancée contre ma personne, y compris dans son volet judiciaire ;
4- Je n’ai fait aucune attaque contre l’institution judiciaire, j’ai dénoncé la gestion de ce dossier par quelques magistrats. Si vous cherchez les premiers fossoyeurs de l’institution judiciaire, vous les trouverez en dedans ;
5- Je persiste et signe que toutes les entreprises de liquidations politiques, de Mamadou Dia à ce jour, ont eu pour support le « pouvoir » judiciaire, qui s’est rarement comporté dans ce pays comme un vrai pouvoir, alors qu’il doit en être un;
6- À tous ces magistrats consciencieux, je demande de refuser d’être entrainés dans cette bataille, ce n’est le rôle ni de votre corporation, ni de votre association ;
En attendant, Monsieur le Président de l’UMS, je vous renvoie à nouveau à cette maxime de Platon : « Un bon juge est celui qui a acquis une connaissance de l’injustice. ” - IGFM