Le « profil » du futur Premier Ministre…

by amadou

iGFM- Le Président Macky Sall a décidé de restaurer le poste de Premier ministre. Sans autre indication sur celui ou celle qui devra l’incarner. Mais en attendant la décision présidentielle, les journalistes et experts en communication politique, Cheikh Yerim Seck, Aliou Ndiaye et Dr Cheikh Diallo, ont tenté de dresser le profil du futur chef du gouvernement.

Chez Macky Sall, le mystère est objet de foi. Il est le premier pilier du culte politique d’un chef d’Etat foncièrement taciturne et éminemment secret, dont les décisions – parfois prises après un long processus de maturation – sont toujours énigmatiques. En témoigne sa volonté exprimée en Conseil de ministre ce mercredi, de restaurer le poste de Premier ministre qui s’est vite traduite en une équation à plusieurs inconnus et dont les termes, chargés de coefficients différents, font cogiter tout un pays. Macky Sall a juste parlé «d’adaptation de l’organisation du pouvoir exécutif à un nouvel environnement économique et sociopolitique», pour justifier son rétropédalage ou recadrage. Sans autre indication. Pas même un indice. Et la question que tout le monde se pose, ces dernières 48H, est : quel devrait être le profil de ce futur chef du gouvernement ?

Cheikh Yerim Seck est journaliste et analyste politique. Bien qu’il ignore encore le nom du futur successeur de Mahammad Boun Abdallah Dione, le patron de YerimPost croit savoir que le Président Macky Sall devrait choisir un profil d’abord et avant tout consensuel. «Dans le contexte actuel du pays, on a besoin d’un homme transversal, qui, quoique appartenant au giron politique du chef de l’Etat, doit être à mesure de parler à tout le monde, insiste Cheikh Yerim Seck. La tension ambiante à l’orée de ces Locales exige qu’il y ait à la tête du gouvernement du Sénégal un homme capable d’initier, y compris en coulisses, un dialogue entre les différentes tendances politiques pour pacifier le climat.» Au delà de la confiance qui doit lier le chef de l’Etat à son chef de gouvernement, Cheikh Yerim Seck est d’avis que le futur Pm devra être doté d’un certain background politique.

«Dans un contexte où on va vers des élections locales et législatives, le futur Premier ministre ne peut pas être un homme qui vient de n’importe où. Le poste est d’abord et avant tout un poste politique. Il faut que ce soit quelqu’un qui, non seulement à un background politique, mais aussi une légitimité politique. S’il n’en a pas, il ne pourra pas avoir un ascendant sur des ministres qui ont tous chacun en ce qui le concerne, une légitimité locale. Il faut que ce soit un homme d’envergure nationale qui ait une légitimité politique d’emprise nationale. Ça ne peut pas arriver de n’importe où. Le président de la République, dans le contexte actuel, n’a aucun intérêt  à chercher un allié, il a intérêt au contraire à consolider et à élargir la base de légitimité de l’Etat et du pouvoir. C’est quelqu’un qui nécessairement va venir du giron politique du chef de l’Etat», affirme le journaliste et analyste politique.

«Calculs dans la perspective de la prochaine présidentielle»

Placé dans son contexte, ce choix du Président Macky Sall de restaurer le poste de Premier ministre intervient à la veille des élections locales et législatives. Il y a aussi la Présidentielle de 2024. Une élection qui fait déjà couler beaucoup de salive quant à une candidature du Président Macky Sall. Nommer un Pm à quelques années d’une présidentielle ne signifierait pas désigner en même temps le probable numéro 2 de l’Etat et de l’Apr ? Cheikh Yerim Seck est catégorique : «Si le Président nomme quelqu’un d’incolore, inodore sur le plan politique, ça voudra dire qu’il aura choisi quelqu’un pour faire le job tout simplement, mais il n’a pas encore tranché le débat sur sa succession. S’il nomme quelqu’un qui est un pedigree politique, quelqu’un qui a un facteur personnel politique, quelqu’un qui peut nourrir une ambition du fait de son positionnement au sein de l’Etat et l’Apr, le président de la République aura tranché la question de son dauphinat, c’est-à-dire de mettre un homme sur orbite dans la perspective de 2024.»

Il poursuit : «Si Macky Sall nomme un technocrate pour gérer les dossiers de l’Etat, ça voudra dire qu’il ne veut pas, pour le moment, être gêné politiquement dans la perspective de 2024. S’il nomme un homme politique qui est dans la posture d’avoir des ambitions pour lui succéder, ça voudra clairement dire qu’il n’y a plus de calcul dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. Et la façon dont il va responsabiliser celui qu’il va nommer est très importante. Est-ce qu’il va le renforcer ? Est-ce qu’il va lui donner les moyens ? Est-ce qu’il va en faire le numéro 2 de l’Apr ? Est-ce qu’il va en faire un point de passage obligé de tous les ministres ? Est qu’il va lui donner un pouvoir ? Et au prorata du pouvoir qu’il va lui donner, on saura si Macky Sall voudra se retirer ou pas.»

 «Un technocrate sans ambitions ou le politique sorte de plan B»

Lui ne voit que deux options qui s’offrent au chef de l’Etat. Journaliste et directeur de Pikini Production, Aliou Ndiaye part des justifications données par le Président Sall pour la restauration du poste de Premier ministre. Première option : «Le président de la République a parlé de contexte socio-politique, c’est-à-dire la croissance qui a dégringolé à cause de la pandémie du Covid-19 et d’autres facteurs que nous ne maîtrisons pas. Il y a une situation économico-sociale difficile et des échéances électorales importantes (Locales, Législatives et Présidentielle). Quel peut-être donc le profil d’un Premier ministre dans ce contexte-là ? On peut avoir, comme on l’a vu souvent, un Premier ministre qui soit un technocrate qui ne lorgne pas le fauteuil du Président pour qu’il puisse lui confier la gestion à la fois administrative et financière du pays pour pouvoir se consacrer, lui, à des tâches politiques pour ne pas dire politiciennes. On va vers des échéances et peut-être le Président peut être tenté de se trouver un peu plus de temps pour pouvoir se consacrer à la chose politique et pouvoir donner les rênes du pays sur le plan administratif et financier à quelqu’un qui pourrait s’en occuper.»

Deuxième option : «On peut aussi se retrouver dans une situation où le Président est sur un plan B et qu’il y ait un homme politique à la Primature faire de la politique en même temps que lui. C’est-à-dire faire bien sûr de la gestion aussi administrative et financière, mais pouvoir, au cas où le Président se retrouverait dans une situation où il lui serait impossible d’imposer aux Sénégalais un troisième mandat comme cela se dessine de plus en plus, constituer un plan B. Donc, c’est soit un technocrate qui ne va pas lorgner le fauteuil du chef ou un homme politique qui peut être une sorte de plan B en cas de déconvenue dans la stratégie d’imposer aux citoyens sénégalais un troisième mandat.» 

«Le futur Pm peut être un probable N°2 de l’Etat ou de l’Apr»

Selon l’ex-Directeur de publication du journal L’Observateur, en décidant du profil du futur chef du gouvernement, Macky Sall pourra aussi régler d’autres questions notamment politiques. Aliou Ndiaye : «Le futur Pm peut être un probable N°2 de l’Etat ou de l’Alliance pour la république (Apr). Mais à un moment donné, le Président Macky Sall n’a pas voulu donner l’impression qu’il sponsorisait quelqu’un et il n’a pas voulu mettre même dans la tête de ses supporters qu’il y a possibilité d’avoir une solution autre que Macky Sall en 2024. Peut-être qu’on assiste là à un revirement et qu’il se dit que le plus prudent, c’est d’avoir un plan B au sein de l’Apr, de Benno Bokk Yakaar, de la mouvance présidentielle ou même ailleurs.» Dans tous les cas, le journaliste appelle à une grande prudence parce que le Président Sall est d’une grande habileté tactique. «On est en politique et on ne sait jamais.

Et Macky Sall a démontré que depuis le début, il est un fin tacticien politique et il peut dérouter. Maintenant, je n’ai pas l’impression qu’a priori, tout cela était prévu depuis le départ. Il y a la pandémie du Covid-19 qui a bousculé beaucoup de choses. Les prévisions, c’était que l’exploitation du pétrole et du gaz allait démarrer au Sénégal en 2022, qu’il y aurait plus de solutions et moins de problèmes. Mais on se retrouve dans une situation complètement inattendue où on a beaucoup plus de problèmes que de solutions. Donc, le prochain Premier ministre peut être un technocrate, venir de la mouvance présidentielle ou même de l’opposition. On ne sait jamais et la stratégie du «Mburu ak Soow» peut aussi opérer. Macky Sall a démontré depuis quelques années qu’en matière de stratégie politique, il est assez habile.»

«Se peut-il que lui-même n’en sache rien pour le moment»

Cheikh Diallo est le Directeur et fondateur de l’Ecole d’art oratoire et de leadership de Dakar. Et, pour cet ancien collaborateur de l’ex-ministre Karim Wade qui a fréquenté les coursives du Palais de la République, il est quasi-impossible de dresser le profil du futur Premier ministre. Une difficulté qu’il lie à la nature du Président Macky Sall qui, fait-il remarquer, a l’art de surprendre son monde. «La fonction du Premier ministre est une fiction juridico-politique. Partout où ce poste n’existe pas on veut l’instituer, partout où il existe, on veut le supprimer. Macky Sall est un homme indéchiffrable. Se peut-il que lui-même n’en sache rien pour le moment. Il doit avoir cependant une short-list. Une seule certitude mathématique, sa nomination sera consécutive aux élections territoriales du 23 janvier 2022. Juste avant que son mandat de Président de l’Union africaine ne commence en février 2022.»

Selon l’expert en communication, il y a un autre fait, toujours lié à la nature du Président Sall, à faire remarquer. «Cette nouvelle décision de restaurer le poste de Premier ministre est douloureuse parce que personne n’aime revenir sur ses paroles à plus forte raison l’acte présidentiel. Mais Macky Sall n’avait pas prévu l’imprévu diplomatique. En février 2022, en sa qualité de Président en exercice de l’Union africaine (Ua), il fera au moins 100 déplacements en Afrique et dans le monde, soit au minimum 100 jours à l’étranger. Qui assurera l’intérim et qui coordonnera l’action gouvernementale ? Et le pic de son agenda diplomatique coïncidera avec les élections législatives de 2022. En fait une double contrainte, celle du dehors et celle du dedans, l’a amené à la suppression-reconduction du poste de Premier ministre.» Ça, c’est un fait. Mais pour le profil du poste de PM ?  «Rien n’est encore sûr», conclut-il.

AVIS DE SPECIALISTES DE DROIT CONSTITUTIONNEL : Macky, le choix et les délais

Le prochain Premier ministre du Sénégal pourrait être nommé avant les élections locales du 23 janvier 2022. Des spécialistes de Droit constitutionnel soutiennent que tout dépendra de la volonté du chef de l’Etat, Macky Sall, qui peut bien promulguer la loi avant ces joutes.

Pour restaurer le poste de Premier ministre, le Président Macky Sall a opté pour le fast-track. Le chef de l’Etat veut faire passer la loi en procédure d’urgence à l’Assemblée nationale. Mais, après l’adoption de la loi par les députés, il y a des délais qui sont prévus avant sa promulgation par le chef de l’Etat. Est-ce que, dans ce cas, le Président Macky Sall pourra nommer et installer son nouveau Premier ministre avant les élections locales du 23 janvier 2022 ? Tout dépendra de la volonté du chef de l’Etat, confie un éminent professeur de Droit constitutionnel. «La loi passe en procédure d’urgence, donc tous les délais sont réduits. Si le président de la République veut promulguer la loi avant les élections locales, il n’y a aucun obstacle sur le plan juridique. D’ici les élections locales, il y a bien une possibilité de rétablir le poste de Premier ministre. Tout dépend de ce que le chef de l’État veut», souligne le juriste. Qui indique que la promulgation de la loi dépend de la seule volonté du chef de l’Etat qui peut décider de la date.

Le délai à respecter par le Président Sall

Mais, dans le principe, il y a des étapes à respecter entre l’adoption d’une loi par l’Assemblée nationale et sa promulgation par le président de la République. «D’habitude, souligne le spécialiste du Droit constitutionnel, il y a un délai de six jours à respecter après l’adoption de la loi par l’Assemblée nationale. La loi dit que le chef de l’État ne peut pas promulguer dans les six premiers jours qui suivent l’adoption de la loi par l’Assemblée nationale.» C’est l’article 74 de la Constitution qui traite de cette question. Et, c’est pour donner la possibilité aux députés qui le souhaitent, de saisir le Conseil constitutionnel d’un recours. Selon ledit article, le Conseil constitutionnel peut être saisi d’un recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle par le président de la République ou bien par 1/10e des députés dans les six jours francs qui suivent son adoption définitive. Aussi, le président de la République peut, au besoin, faire des amendements sur la loi et demander une seconde lecture.

«S’il y a une seconde lecture ou si le Conseil constitutionnel est saisi, explique un autre spécialiste du Droit constitutionnel, l’article 75 de la Constitution dit que le délai de la promulgation est suspendu jusqu’à l’issue de la seconde délibération de l’Assemblée nationale ou de la décision du Conseil constitutionnel. Donc, la loi ne peut pas être promulguée tant que l’Assemblée nationale n’opère pas la seconde lecture, et également, tant que le Conseil constitutionnel qui est saisi, éventuellement, ne rend pas sa décision.» Et en cas de recours au niveau du Conseil constitutionnel, l’article 17 de la loi portant Conseil constitutionnel, stipule que les sept (7) juges constitutionnels ont un délai d’un mois au plus pour prononcer la décision, à compter du dépôt de recours. C’est ça le principe. Mais, précise notre interlocuteur citant toujours le même article de la loi portant Conseil constitutionnel, en son alinéa 2, qui souligne que «ce délai peut être ramené à huit (8) jours si le gouvernement en déclare l’urgence». Et selon l’article 72 de la Constitution, le chef de l’État promulgue les lois définitivement adoptées dans les huit jours francs qui suivent l’expiration des délais de six jours de recours prévus à l’article 74 de la Loi fondamentale.

Mais en l’espèce, le Conseil constitutionnel va encore se déclarer incompétent, en cas de saisine. Cet éminent professeur de Droit constitutionnel explique : «C’est une Loi constitutionnelle, donc le Conseil constitutionnel est incompétent. C’est-à-dire que si jamais on saisit le Conseil constitutionnel après l’adoption de cette loi, il va se déclarer incompétent, parce que les sept Sages ont toujours refusé de contrôler la constitutionnalité d’une Loi constitutionnelle.»

CODOU BADIANE, SOPHIE BARRO

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