Les réseaux sociaux aidant, le Sénégal d’aujourd’hui est fait de sorties fracassantes et de polémiques stériles. Une véritable industrie du buzz. Après l’histoire de Zayda Zamane, une femme qui s’est autoproclamée prophète et celle de Serigne Al Hassane Mbacké Rouhou Lahi Baba Diné, le soi-disant « messager de Dieu» à Kolda, disposant d’un Coran en langue pulaar, c’est au tour de Koukandé. Depuis quelques semaines, ce féticheur qui a promis de fendre la mer en deux, le jour de nouvel an musulman, comme l’avait fait le Prophète Moïse, fait l’actualité. Les commentaires vont bon train sur les plateformes sociales et les plateaux télévisés occupés par le marabout. Décryptage d’un phénomène ou plutôt d’un « mal de mer » de cette société sénégalaise de plus en plus consumée par le buzz.
Sera-t-il capable de le faire ou pas ? C’est la grande question que se posent beaucoup de Sénégalais. Koukandé, ce féticheur au teint clair et aux yeux d’un tigre pollue l’espace médiatique depuis des semaines. Il a donné rendez-vous au peuple à la baie de Soumbédioune, situé sur la Corniche Ouest de Dakar, où il a promis d’ouvrir une brèche transatlantique qui permettra aux Sénégalais de traverser la mer pour aller en Europe.
Très sûr de ses pouvoirs mystiques, l’homme qui fait actuellement le buzz au Sénégal a montré sur un plateau télévisé le bâton avec lequel il va scinder la mer en sept voies.
Les sorties médiatiques du féticheur ont fini par provoquer la colère des hommes religieux. Le célèbre prêcheur au Sénégal, Iran Ndaw l’a traité de « menteur » qui amuse la galerie. Selon Iran Ndao, si Kounkandé a les pouvoirs de fendre la mer, il n’a qu’à le faire. Au même moment, le féticheur a fait l’objet d’une vidéo comique du l’influenceur Jaw Ketup.
Des attitudes qui font vivre certains
Si Koukandé fait buzz sur les Réseaux sociaux, il n’en est pas moins « persona non grata » chez les juristes, sociologues et autres spécialistes de médias. Interpellés par PressAfrik pour analyser ce phénomène qui connait de plus en plus de l’ampleur au Sénégal, beaucoup n’ont pas voulu s’exprimer sur la question, classant l’affaire de « thiakhane » (divertissement), excepté le sociologue Abdou Khadre Sanogo.
« C’est ce qu’on appelle la montée du méchianisme. Et on sait que ça prospère au Sénégal parce que nous avons des mentalités qui sont très tournées vers ces genres de considérations. Les gens adorent ce qu’on appelle les « rares news ». C’est-à-dire des informations qui sortent de l’ordinaire. Et quelque part je crois que le souci majeur, c’est qu’ils cherchent eux-mêmes à se faire une publicité et ils arrivent quand même à avoir », a commenté d’entrée, Abdou Kadre Sanogo.
Quoiqu’on puisse dire, a poursuivi notre interlocuteur, « aujourd’hui tout le monde connaît Koukandé. Donc, le souci c’est que dans ce pays, facilement on nous donne une tribune pour pouvoir raconter nos inepties. Maintenant, c’est quelque part les attitudes qui nourrissent les débats et qui font vivre même certains. Je crois que quelque part il y a une complicité des médias sociaux. Ils en profitent pour vendre ».
Avant Koukandé, d’autres personnes se sont autoproclamées Prophète. Selon Abdou Khadre Sanogo, quelque part, « il y a une certaine absence de ce qu’on appelle le sens de la mesure. On peut être charlatan ou marabout, mais il y a des moments où on est tellement obnubilé par une absence de modestie et on commence ne pas de tracer de limites pour nous même ».
« Et ça, c’est une forme de pathologie. Dans ce pays, quand certains ont besoin d’être aidés psychologiquement, on en fait des personnages inébranlables. Même un enfant de 5 ans ou 6 ans sait que rien ne se passera le jour du Tamkharit. Maintenant, ceux qui s’attachent à ces propos, s’attendent à des excuses comme -non, je ne vous ai jamais parlé de ça. Quand je disais cela, c’était par rapport à un sens bien précis- », a-t-il prévenu.
Ce phénomène traduit le désœuvrement des Sénégalais
Abdou Kadre Sanogo est convaincu que maintenant, Koukandé aura entre-temps gagné en publicité. Ainsi, c’est le propre des Sénégalais. Il a, par ailleurs, exprimé sa crainte par rapport aux gens qui prêtent beaucoup d’attention à ces propos. .
Ce phénomène qui s’amplifie au Sénégal interpelle tous. Pour M. Sanogo, il y a sans nul doute, lieu de s’inquiéter. Non seulement pour la société sénégalaise, mais aussi pour toutes les sociétés. « Il y a lieu de s’inquiéter pour toutes les sociétés. Parce que les sociétés dans lesquelles nous sommes, surtout l’hyper prééminence des réseaux sociaux ont tendance à se coller comme ce n’est pas possible. C’est la culture des ragots et des Fake news. Il me semble que ça exprime un taux assez exponentiel de temps. Ça traduit le désœuvrement des Sénégalais »
Les Sénégalais, d’après le sociologue sont « tellement désœuvrés qu’ils s’agrippent sur ce genre de phénomène afin de se créer un quotidien pour en parler ou en discuter pour avoir un os à grignoter et occuper les vides quotidiens de leurs vécus ». « Et c’est qui est inquiétant. Un peuple qui n’est pas désœuvré n’aurait même pas entendu parler de cette histoire », a-t-il soutenu.
Possible poursuite judiciaire
A supposé que Koukandé fende la mer en deux tel qu’il ne cesse de la chanter. Il peut tomber sous le coup de la loi. Le procureur de la République, maitre des poursuites peut lui coller plusieurs infractions, à savoir l’atteinte à la sureté de l’Etat ou trouble à l’ordre public.
En plus de cela, la loi portant code la marine marchande, en son article 676 punit « de travaux forcés à temps de cinq à dix ans et d’une amende de 500.000 à 5 000.000 francs quiconque commet une infraction pénale qui, illicitement et intentionnellement blesse ou tue toute personne, lorsque ces faits présentent un lien de connexité avec l’une des infractions prévues aux alinéas a et b ».
Cette loi punit également toute personne qui « s’empare d’un navire ou exerce le contrôle par violence ou menace de violence ou accomplit un acte de violence à l’encontre d’une personne se trouvant à bord d’un navire, si cet acte est de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire ».
Source ^pressafrik