Tous ceux qui pouvaient être sceptiques quant à la fiabilité du processus électoral sénégalais, peuvent réviser leurs appréhensions. La preuve par le dénouement du scrutin d’hier 23 janvier 2022. Les vaincus ont concédé leur défaite et les vainqueurs ont jubilé. Les résultats des élections départementales et municipales ne sont pas encore définitifs mais ils semblent refléter étrangement, ceux de la dernière Présidentielle.
Dans la plupart des circonscriptions du pays, les candidats présentés sous l’étiquette de la coalition Benno Bokk Yakaar (Bby) ont été plébiscités, alors que dans beaucoup d’autres, ce sont des listes parallèles, déposées par des ténors du camp présidentiel, qui n’avaient pas trouvé grâce dans les investitures et qui avaient choisi de déposer leurs propres listes pour se jauger au niveau de leurs fiefs respectifs, qui ont fini par ravir la vedette.
Ces candidats ont battu campagne en proclamant leur ancrage aux côtés du Président Sall. Seulement, on avait auguré que l’éparpillement des votes, avec plusieurs listes concurrentes, allait peser négativement sur la balance de l’opposition, mais le risque s’est avéré plus grand pour le camp au pouvoir.
Benoît Sambou ouvre un boulevard à Ousmane Sonko à Ziguinchor
L’émiettement des votes potentiels de Bby entre une multitude de listes, a pu constituer une réelle menace, eu égard au système électoral avec un
panachage du scrutin proportionnel et un scrutin majoritaire à un tour unique. La dispersion des voix du camp présidentiel a conforté l’élection de Ousmane Sonko à Ziguinchor. Les voix engrangées par Benoît Sambou, tête de liste de Bby, ont été fatales au maire sortant, Abdoulaye Baldé, candidat de l’Ucs Mbolo mi, qui n’avait pu obtenir l’investiture de Bby.
En vérité, seul Benoît Sambou n’avait pas compris que le seul moyen de barrer la route à Ousmane Sonko, résidait dans un regroupement derrière Abdoulaye Baldé. Peut-être que Benoît Sambou avait d’autres motivations ! Même, la ministre Aminata Assome Diatta, qui avait abandonné son électorat de Bignona, évitant une confrontation avec Ousmane Sonko pour se réfugier à Keur Massar.
A Rufisque, les divisions entre Ismaïla Madior Fall, Seydou Diouf, Souleymane Ndoye et autres, se sont révélées du pain béni pour Yaw. C’est certainement le cas à Sangalkam, à Keur Massar et à Pekesse où le maire sortant, Djibo Mbaye, et l’ancien Directeur général de la Senelec, Pape Dieng, se sont neutralisés au profit de Ndiaw Thiam de Wallu Senegaal.
Les mêmes divisions au sein du camp du Président Macky Sall ont compromis le sort de Abdoulaye Diouf Sarr à Dakar. Ainsi pourrait-il regretter les quelques voix glanées par la liste de Mame Mbaye Niang de Avenir Sénégal 2035 et de Euleuk Senegaal ou de Bunt Bi, toutes émanant des flancs de Bby. Aussi, Abdoulaye Diouf Sarr n’a pas su faire montre de capacités de rassembleur autour de sa personne. Nous alertions sur de tels risques dans une chronique en date du 6 décembre 2021 titrée : «Pour que Diouf Sarr gagne à Dakar.» Mais manifestement, le ministre de la Santé était autiste ou refusait d’écouter la moindre mise en garde. A son corps défendant, les divisions et aigreurs dans son camp, ne lui ont pas rendu la tâche facile.
On remarquera que le Président Sall a systématiquement gagné les élections nationales à Dakar depuis 2012, mais ses poulains ont toujours perdu les élections locales. Au demeurant, le camp du Président Sall a réussi à conserver la quasi-totalité des mairies qui étaient en sa possession. On rappellera que les villes de Ziguinchor et Dakar étaient dirigées par d’autres familles politiques.
Partout ailleurs, si la compétition électorale a pu être âpre, il reste qu’elle n’aura pratiquement opposé que des ténors du camp présidentiel. Ceux parmi eux qui ont en effet gagné contre Bby, dédient leur victoire au Président Macky Sall. On retiendra la grande défaite de Idrissa Seck à Thiès, où son poulain Yankhoba Diattara n’a pas réussi à surmonter les divisions avec Talla Sylla, le maire sortant, ainsi que des responsables de Bby.
L’opposition a perdu son pari référendaire
L’opposition semble avoir mésestimé, notamment en zone rurale, l’impact auprès des populations des réalisations du gouvernement. Les routes, les ponts, les ouvrages d’assainissement, les infrastructures de santé et les autres petites ou grandes réussites que sont la politique de filets économiques et sociaux, dont les financements aux jeunes et aux femmes ainsi que les bourses familiales, ou encore les réalisations en matière d’électrification et/ou d’hydraulique rurale, sont différentes actions qui ont été ainsi bien sanctionnées par les électeurs.
Ousmane Sonko clamait partout que ces élections territoriales
constituaient l’occasion de prouver l’impopularité du régime de Macky Sall, et ces élections allaient préfigurer les résultats de l’élection présidentielle de 2024. Il faisait de ces élections une sorte de référendum contre Macky Sall. Il annonçait même que si Bby gagne les élections, Macky Sall en tirerait la conséquence de se représenter à la Présidentielle de 2024. Il n’a eu de cesse de le répéter durant toute la campagne électorale, comme un leitmotiv. Certes, la coalition Yaw a remporté des victoires symboliques mais l’analyse fine des résultats, ne permettrait d’accréditer l’idée d’un recul du camp présidentiel.
Les élections locales sont bien différentes d’une élection présidentielle, mais si on prend pour référence la Présidentielle de 2019, le vote d’hier a épousé étrangement les mêmes configurations que celui du 24 février 2019. Ousmane Sonko peut alors déduire des résultats d’hier que le baromètre au niveau national reste très largement favorable à Macky Sall. Comment alors pourra-t-il revenir dire aux Sénégalais que Macky Sall est un Président honni par ses concitoyens ?
Nous avions prévenu, dans une chronique en date du 7 septembre 2021, que «l’opposition va rater «son référendum» du 23 janvier 2022». En effet, nous écrivions que «la grande faiblesse de l’alliance (Yaw) est qu’elle ne présente pas d’offre politique autre que celle de «dégager le régime de Macky Sall». Ainsi, se trompe-t-on d’élections, car présenter les joutes électorales du 23 janvier 2022 comme un référendum contre le régime de Macky Sall, est une grave erreur d’appréciation pour Ousmane Sonko et ses alliés».
Barthélemy Dias, qui avait le vent en poupe, a très largement érodé son capital sympathie par son discours des derniers jours de la campagne, en bravant tout le Sénégal et toutes les institutions et menaçait de mettre le feu à Dakar. Il a parlé comme son père Jean-Paul Dias en 1993, qui prescrivait aux magistrats de se payer un linceul en cas de proclamation de résultats défavorables à son camp politique, qui était celui de Me Abdoulaye Wade ! Pour autant, cela n’a pas profité à Soham El Wardini, qui a joué à l’utilitaire quand le maire Khalifa Ababacar Sall a eu des déboires judiciaires. Soham El Wardini est désormais en rupture de ban de la coalition Yaw et s’est montrée assez digne dans sa campagne électorale.
La révélation Serigne Mboup à Kaolack et les nouvelles offres politiques
Des personnalités présentées comme des leaders significatifs de l’opposition, que sont El Hadji Malick Gakou, Abdoul Mbaye et Mamadou Lamine Diallo, n’ont pas osé se présenter à une autre circonscription que celle de Twitter ou de Facebook. La réélection du maire sortant de Guédiawaye, Aliou Sall, semblait écrite d’avance, mais Ahmeth Aïdara investi par Yaw, a pu jouer les trouble-fêtes. Il reste que d’autres nouvelles candidatures ont été remarquables. Celle de l’homme d’affaires, Serigne Mboup, président de la Chambre de commerce de Kaolack, à la mairie de la capitale du Saloum, a pu paraître naturelle. Serigne Mboup avait souhaité, dans un premier temps, être investi par la coalition Bby, mais faute d’obtenir l’onction du Président Macky Sall, il a initié une coalition qui a pu drainer des foules importantes, avec une offre politique nouvelle. Un réel engouement a été observé autour de sa candidature. Il devient ainsi maire de Kaolack, un maire pas hostile au camp présidentiel. Par contre, la candidature de l’ancien coordonnateur du mouvement citoyen Y en a marre, Fadel Barro, à Kaolack, est apparu plus comme une prétention mal placée qu’une offre politique sérieuse.
La stratégie du patron de médias, Bougane Guèye Dany, de la coalition Gueum sa bopp (Gsb) a été d’être à l’affut, pour offrir sa bannière à tout frustré ou toute personne qui aurait des velléités de déposer une candidature. Qui en veut, en voilà ! C’est ainsi que les couleurs de Guem sa bopp sont très présentes à travers le pays, mais malheureusement, cela ne s’est pas traduit en victoires électorales éclatantes. Bougane Guèye Dany pourra toujours se consoler de brandir un nombre relativement importants de conseillers municipaux élus sous les couleurs de sa coalition. Mais est-ce pour autant que cela signifierait un ancrage politique durable ?
Un autre enseignement et pas des moindres, des joutes électorales du 23 janvier 2022, est qu’on a assisté à l’irruption de nombreux jeunes cadres qui ont brigué les suffrages des électeurs. Ce nouvel engouement pour la politique annonce-t-il un regain d’intérêt des technocrates pour les activités politiques ? Ils commencent à être nombreux à se dire que «si vous ne vous occupez pas de la politique, la politique s’occupera de vous». Alors, la redistribution des cartes dans les différentes formations politiques semble s’imposer. Le Président Macky Sall devra alors travailler à reconstituer sa famille politique, à la souder davantage et surtout, à oser renouveler son personnel politique.