Gabrielle Kane est la quatrième intervenante de notre série consacrée à la nouvelle génération de féministes sénégalaises. Connue pour ses interventions médiatiques souvent controversées, la feministe de 30 ans ne passe pas inaperçue. Elle se définit d’ailleurs comme une femme totalement décomplexée. La diplômée en Commerce et en communication est en parallèle, présidente d’une association de défense des droits des femmes, est foncièrement féministe dans son fonctionnement au quotidien.
Quel regard portez-vous sur le féminisme ?
J’ai une vision plutôt modérée et probablement différente de celle de beaucoup de féministes aujourd’hui. Le féminisme à la base, c’est un mouvement qui réclame l’égalité entre les femmes et les hommes. Donc être féministe, c’est se battre pour que les femmes bénéficient des mêmes droits que les hommes. Cependant, dans le contexte socioculturel de notre pays, je ne pense pas qu’il soit opportun d’utiliser le terme de « bataille » mais plutôt le mot lutte. Et je ne pense pas que lutter pour « l’égalité entre les hommes et les femmes » au Sénégal soit intelligent.
Je suis plus pour l’équité que pour l’égalité. Nous savons que nous ne sommes pas égaux, nous ne le serons jamais et c’est de l’ordre de la volonté divine en tant que musulman. Ce sont les hommes qui dirigent les prières, scellent les mariages, baptisent les enfants, prient et enterrent les morts.
Cette réalité religieuse, nous ne pouvons la changer. Cependant, nous pouvons lutter pour l’équité sociale et en termes de droit sur le terrain de la République. Lutter contre les violences faites aux femmes, et l’avancée du code de la famille pour protéger au mieux les femmes face aux hommes défaillants.
Comment faire donc pour atteindre cette équité sociale dont vous faites allusion ?
Nous avons pour cela besoin de discuter avec des hommes, qui je sais, sauront être des alliés forts dans ces formes de luttes. Notre féminisme aujourd’hui ne doit pas être exclusivement féminin, nous devons avoir des hommes qui soient nos alliés. Je suis une femme libre, depuis toujours je pense. Je le suis grâce à des hommes comme mon père, et d’autres hommes que ceux que j’ai croisée, qui m’ont aimé, et construits. Aujourd’hui aussi c’est pareil, mon socle, c’est des hommes. C’est aussi pour cela que je dis que je suis une femme à homme. C’est bizarre d’être aussi féministe et d’être une femme à homme en même temps… Cela peut paraître contradictoire, je le concède. La vérité, c’est que j’aime les hommes et je pense sincèrement qu’il y a des hommes qui méritent qu’on les aime. Bon j’avoue, il y en a pas beaucoup qui le méritent par les temps qui courent.
« Le silence complice et les postures lâches ont fait de mon engagement une priorité»
Quand est-ce que vous avez commencé à vous engager dans le mouvement ?
Certainement au moment où il le fallait dans notre pays. Quand le silence des gens m’a blessé au moment où nous avions besoin d’une posture courageuse. J’avoue que depuis, j’ai de grands moments de solitude malgré mes convictions. Je suis vraiment tombée dedans par hasard car je n’ai jamais souhaitée être mise au-devant de la scène ainsi. Le silence complice et les postures lâches ont fait de mon engagement une priorité. J’ai, depuis une dizaine d’années en France, mené mon engagement par des actions discrètes et concrètes en faveur de notre société et de mon environnement proche.
Cet engagement pousse certains à vous taxer de féministes » radicales « ? Que répondez-vous à cela ?
Cela les engage. Je ne suis radicale en rien et encore moins dans mes engagements. La vie m’a montré qu’être radicale n’était pas toujours utile. Dans les plus grands combats de l’humanité, nous avons aussi vu des phases de discussions, de négociations et de concessions.
“Les hommes sont nos partenaires de vie et je suis peut-être encore dans l’utopie mais je demeure convaincue que la pédagogie peut nous faire avancer vers un monde meilleur pour les femmes, avec les hommes”
Vous appelez donc à un dialogue ?
Allons-nous nous confronter aux hommes au Sénégal ?
Je ne pense pas que nous en ayons besoin. Ce sont nos partenaires de vie et je suis peut-être encore dans l’utopie mais je demeure convaincue que la pédagogie peut nous faire avancer vers un monde meilleur pour les femmes, avec les hommes.
Certainement que mes origines et mon milieu familial pèsent dans la balance mais quand on rencontre certains hommes qu’ils soient des autorités ou des guides religieux, on sent qu’ils ont compris le tournant que notre société doit opérer. Je pense qu’il se fera mais avec un certain courage politique qui manque dans ce pays pour les questions des droits des femmes.
Probablement que les prochaines réalités et échéances aideront à un changement…
Je suis plutôt assez ouverte d’esprit, probablement un peu trop et je pense que c’est ce que l’on me reproche le plus finalement. Je ne suis pas pour un monde contre les hommes ou sans eux….
“Il y a aussi des femmes qui aiment la facilité en ne se prenant pas en charge et en allant dépendre complètement d’un homme”
Malgré votre ouverture, le mouvement se heurte à certains écueils. Qu’est-ce qui peut être des obstacles?
Principalement le patriarcat et le machisme de la société mais aussi cette culture du « une femme cela subi pour être une bonne épouse, une bonne mère». Nous subissons nos vies et il nous faut penser à choisir ce que nous voulons et surtout ce que nous ne voulons plus en tant que femme.
Certaines femmes sénégalaises aussi y sont pour beaucoup malheureusement.
Il ne faut pas non plus tout mettre sur le dos des hommes, il y a aussi des femmes qui aiment la facilité en ne se prenant pas en charge et en allant dépendre complètement d’un homme. On ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. La liberté d’une personne dépend aussi de son indépendance et de son autonomie. Quand on fait le choix de la dépendance, on prend le risque de limiter ses droits et donc de s’auto-bâillonner.
“Dans les médias classiques, les femmes sont peu présentes et quand elles le sont c’est généralement dans du folklore avec des postures dégradante”
Vous avez évoqué l’importance de la liberté et l’indépendance de la personne. Est-ce cela que vous offrent les réseaux sociaux ?
Le rôle des réseaux sociaux est primordial. Dans les médias classiques, les femmes sont peu présentes et quand elles le sont c’est généralement dans du folklore avec des postures dégradantes. On nous dit, venez montrer comment vous êtes belles mais taisez-vous sur ce qui se passe dans le pays.
Et nous jouons le jeu de la facilité par pure paresse intellectuelle.
Les réseaux sociaux nous donnent la parole quand souvent on nous l’interdit dans la société. C’est un moyen plus démocratique et plus large pour les femmes et pour la diffusion des messages à caractère engagé.
Malgré les aléas que nous constatons aujourd’hui, il faut reconnaître que ce sont des outils qui aident et encouragent la libéralisation de la parole des femmes. Et nous en avons plus que besoin aujourd’hui au Sénégal pour permettre aux femmes de prendre la parole et faciliter les luttes ainsi que les défis d’aujourd’hui et de demain pour la gente féminine.