Pape Alé Niang sur la Reddition des comptes  : il ne faut jamais se tromper d’objectifs et surtout ne pas commettre les erreurs des précédents régimes, « L’approche ne doit pas être uniquement axée sur l’emprisonnement »

by amadou

Reddition des comptes : Ne pas commettre les erreurs des précédents régimes

Personne ne peut être contre la reddition des comptes. La culture de la reddition des comptes doit être encouragée à tous les niveaux de la société. Cela nécessite un engagement fort à promouvoir l’éthique et l’intégrité dans le secteur public, ainsi qu’une sensibilisation continue du public aux questions de corruption et d’abus de pouvoir. Elle est un élément fondamental de toute société démocratique ancrée dans la bonne gouvernance. La reddition des comptes assure la transparence, la responsabilité et l’intégrité au sein des institutions publiques. La poursuite en justice des personnes soupçonnées de corruption, de concussion ou autres prévarications portant sur des deniers publics est considérée comme une mesure nécessaire pour décourager de telles pratiques.

Mais il ne faut jamais se tromper d’objectifs et surtout ne pas commettre les erreurs des précédents régimes. Le plus récent est celui du Président de la République sortant Monsieur Macky Sall. Tout un tintamarre médiatique a été orchestré autour de la CREI (la Cour de répression de l’enrichissement illicite) suscitant beaucoup d’espoir auprès des populations. Au bout du compte, l’affaire s’est dégonflée comme un ballon de baudruche. Combien de millions, pour ne pas dire de milliards, ont été dépensés dans le procès-traque de Karim Wade ? Nous avons même entendu un avocat péremptoire déclarer : « En une semaine, si l’État me donne les moyens, je vais retrouver les milliards planqués à l’étranger par Karim Wade. » Monsieur Antoine Diome, à l’époque agent judiciaire de l’État, a fait le tour du monde avec ses commissions rogatoires. Les résultats ont été nuls. Un zéro pointé. Les Sénégalais ont été tenus en haleine par un procès fortement médiatisé. Karim fut condamné à 6 ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende pour enrichissement. Après 3 ans d’emprisonnement, il fut libéré et exilé de force à Doha dans des conditions jamais élucidées. Pire, les autres dignitaires du régime de Wade qui étaient sur la liste de la CREI ont été tout simplement oubliés. Et pour cause, soit ils ont transhumé à l’APR ou se sont rapprochés du président d’alors, Macky Sall. Karim Wade n’a pas versé un seul franc dans les caisses de l’État. Et rien n’a été recouvré. Que des miettes : Un terrain sur la corniche, les appartements d’Eden Roc appartenant à Ibrahima Aboukhalil, alias Bibo Bourgy, que des pontes de la République se sont vite partagés… D’ailleurs, suite à une plainte de Bibo Bourgy, dans le même dossier, l’État du Sénégal a été condamné définitivement par la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris à verser à l’homme d’affaires franco-sénégalais, d’origine libanaise, la somme de 168,5 milliards en guise de dédommagement, outre les intérêts. C’est dire qu’en matière de reddition des comptes, la CREI a été en réalité une véritable escroquerie. Et le régime de Macky n’osera jamais dire combien ils ont dépensé dans cette traque. Bien au contraire. Sinon elle n’a servi qu’à enrichir d’autres personnes. D’où la question : doit-on privilégier l’emprisonnement des détourneurs de biens publics ou plutôt se concentrer sur l’objectif principal de les récupérer parce qu’indûment acquis ? Tout d’abord, il est important de noter que l’emprisonnement ne garantit pas toujours le recouvrement des actifs acquis indûment. Même si des individus sont condamnés et purgent une peine d’emprisonnement ferme, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils restitueront leurs biens mal acquis.

S’y ajoute que nous sommes dans une société très complexe. Nous assisterons bientôt à des interventions pour plus de clémence dans le traitement des dossiers. Bon nombre de pontes de la République écroués actuellement à Rebeuss finiront au pavillon spécial, loin des affres de nos prisons peu conformes pour ne pas dire du tout aux normes internationales en la matière. Qu’on le veuille, le reconnaisse ou pas, l’État prêtera une attention toute particulière à ces détenus.

Le ministre de la Justice est bien conscient de la complexité de ces dossiers financiers. Leur traitement n’est pas aussi simple. Et trop de communication peut avoir un effet boomerang. Car à coup sûr, les Sénégalais demanderont des comptes sur tous les dossiers médiatisés. Dans cette optique, il est important de privilégier d’autres approches pour assurer une reddition des comptes efficace. Raison pour laquelle, à l’Assemblée nationale, le ministre de la Justice avait évoqué la possibilité d’une médiation pénale. Plutôt que de se concentrer uniquement sur l’emprisonnement des présumés coupables, l’accent doit être mis sur l’établissement de mécanismes efficaces pour identifier, geler et récupérer les biens mal acquis. Le toilettage des textes sur la médiation pénale est impératif en ce sens que dans sa formulation actuelle par les dispositions de l’article 32 du Code de procédure pénale, ce mode de règlement des procédures ne semble pas permettre la prise en compte des infractions qui ont fortement troublé l’ordre public. En effet, le législateur sénégalais a toujours voulu apporter une réponse ferme à ces genres d’infraction, notamment en interdisant la mise en liberté provisoire d’office et en prolongeant les délais de prescription. En conséquence, le changement du dispositif législatif en matière de médiation pénale parait aujourd’hui plus que nécessaire. En effet, pour sacrifier à ce besoin de transparence des populations dans le traitement des dossier judiciaire, l’opinion doit être informée afin d’éviter certaines pratiques du passé qui ont conduit tout bonnement à l’échec.

Pour réussir dans cette optique, il est essentiel de disposer d’institutions solides, indépendantes et transparentes. On nous avait vendu la CREI. On connaît la suite de l’histoire. Aujourd’hui, cette même CREI a été transformée en pool judiciaire financier. Son efficacité sera jugée sur pièce. La reddition des comptes est donc obligatoire pour promouvoir la transparence et l’intégrité au sein des gouvernements et des institutions publiques. Mais l’approche ne doit pas être uniquement axée sur l’emprisonnement car l’objectif principal est de récupérer l’argent volé et les biens indûment acquis .

Pape Alé Niang

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