Par Madiambal DIAGNE – Le premier tour de l’élection présidentielle devait se tenir le 25 février 2024 mais, en fin de compte, il se tiendra le 24 mars 2024. Le Sénégal est passé, depuis le 3 février 2024, à des situations les plus périlleuses et l’incertitude subsiste. La classe politique continue à jouer avec le feu, et à nous faire peur.
C’est fou ! Ont-ils entrepris tout ça, pour se retrouver à l’arrivée avec Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye et leurs centaines de casseurs en liberté et même amnistiés, et le Pastef dissous ressuscité ? Ont-ils entrepris tout ça pour se retrouver avec Amadou Ba toujours candidat de Benno bokk yaakaar (Bby) et qui rallie les foules excitées de militants et de sympathisants ? Ont-ils entrepris tout ça pour se retrouver avec Karim Meïssa Wade et Ousmane Sonko, toujours hors de course pour la Présidentielle, parce qu’ils n’ont pas réussi à faire rebattre les cartes de la sélection des candidatures par le Conseil constitutionnel ? Ont-ils entrepris tout ça pour se retrouver avec la perspective que le Président Macky Sall aura à quitter le pouvoir au terme fatidique de son mandat, à savoir le 2 avril 2024, et que le Conseil constitutionnel en arrive à devoir le lui rappeler ? Ont-ils entrepris tout ça pour se retrouver avec l’image on ne peut plus chahutée d’un Président Sall alors qu’il n’y a guère, sa cote de popularité était au pinacle ? Le supplice de Macky Sall aura été de bien mesurer que nombre de ses «obligés» ne pouvaient plus le suivre dans la logique d’une hostilité absurde à l’encontre de son propre candidat Amadou Ba et qu’il s’est senti presque forcé de lui renouveler son soutien. Assurément, il lui devenait impossible de se mettre à la face du monde pour appeler à voter pour un autre candidat ! Au corps défendant de ses collaborateurs et camarades de parti, qu’il a pu percevoir comme des traîtres à sa personne, il ne leur a jamais clairement confié ses intentions de bouder la candidature de Amadou Ba, qu’il leur avait préalablement vendue publiquement avec force arguments. Peut-être qu’il appartenait aux autres de deviner ce que Macky Sall avait à l’esprit ! Ainsi, lui sera-t-il difficile de jubiler au soir d’une victoire de Amadou Ba s’il manque de s’afficher à ses côtés durant la campagne. Une victoire de l’opposition serait également sa propre défaite. On semble vivre les mêmes situations qu’en France où l’histoire de la Vème République révèle parfois un manque d’enthousiasme débordant du Président sortant en faveur de son poulain. François Mitterrand avait choisi du bout des lèvres Lionel Jospin contre Jacques Chirac en 1995, ou quand le même Jacques Chirac faisait le service minimum pour Nicolas Sarkozy en 2007 contre Ségolène Royal. Au Kenya, en 2022, Uhuru Kenyatta avait joué contre son propre camp, en choisissant de soutenir son opposant Raïla Odinga, au détriment de son propre vice-président William Ruto.
Chaque fleur de Ousmane Sonko pour Macky Sall est une insulte à la morale !
Les Sénégalais sont médusés de découvrir un Ousmane Sonko qui, après sa sortie de prison, affiche un nouvel ami, en la personne de Macky Sall. Désormais, il lui épargne ses féroces injures, ses diatribes et ses quolibets assassins, qui sont désormais exclusivement destinés au vilain Amadou Ba. Le leader de Pastef réhabilité, pousse l’indécence jusqu’à dire à ses troupes : «Il ne faut pas céder à l’émotion et il ne faudrait pas se tromper de combat, le Sénégal a encore besoin de la sagesse de Macky Sall, et Amadou Ba est de loin pire que Macky Sall.» Je devine la gêne de Macky Sall à entendre ces propos ! En effet, je relate, dans mon livre paru en novembre 2023, Amadou Ba, la dernière marche, comment Macky Sall et son régime avaient fait payer à Amadou Ba d’avoir cherché à sauver la tête ou à protéger l’ancien jeune inspecteur des Impôts et domaines dont les activités syndicales et politiques donnaient du fil à retordre aux autorités de l’Etat. Tous les déboires de Amadou Ba aux côtés de Macky Sall tenaient à des accusations d’une supposée collusion avec Ousmane Sonko. La famille de Ousmane Sonko devrait elle aussi vivre un certain malaise, notamment sa maman, Khady Ngom, qui n’a de cesse de témoigner de la reconnaissance à l’endroit de Amadou Ba pour diverses civilités ; ou son épouse Anna Diamanka dont la main a été demandée pour Ousmane Sonko, par Amadou Ba en personne. C’est sans doute qu’il fait dans de l’ironie cynique lorsque Ousmane Sonko tisse des lauriers pour Macky Sall. Je refuse de croire qu’il puisse être sincère ! Et comme aucune charge ne serait trop lourde pour la pauvre mule Amadou Ba, ce dernier qu’il a pourtant assez ménagé et même épargné depuis son entrée en politique, Ousmane Sonko le charge subitement et à volonté. A l’étape de Ziguinchor, il déclare sans sourciller : «Amadou Ba a tout fait pour que Diomaye et moi restions en prison. Amadou Ba a organisé toutes les attaques dont j’ai fait l’objet ces dernières années.»
La grande humiliation pour les victimes et toutes les personnes qui défendaient Macky Sall et/ou l’Etat du Sénégal contre Ousmane Sonko
Chercher à apaiser le Sénégal grâce à la libération des casseurs du parti Pastef et de leurs leaders est sans doute un calcul erroné. On ne le dira jamais assez, le Sénégal a été paisible durant tous les mois d’emprisonnement de Ousmane Sonko et de ses sbires. S’il y a eu une brève recrudescence d’actes de violences, le 9 février 2024, c’était justement parce que l’élection présidentielle, initialement prévue pour le 25 février 2024, avait été reportée, sans aucune raison qui a pu convaincre grand monde. Autrement dit, l’agression barbare, le 29 février 2024, contre la journaliste Maïmouna Ndour Faye, que tout le monde savait menacée par les troupes du parti Pastef, constitue indubitablement une conséquence dramatique de cette vague de libérations de groupes de fauteurs de troubles. Qui a pensé aux victimes en amnistiant les terroristes ? On annonce recenser ces victimes pour des dédommagements payés par l’Etat. Dites-moi quelle est la responsabilité de l’Etat de voir des citoyens saccager les biens d’autres citoyens, les tuer, les blesser, les insulter et traîner leur réputation dans la boue. Avant que ses services ne finissent d’ailleurs de nous recenser, nous, les innombrables victimes, Macky Sall aura fini de quitter le pouvoir… Qui nous fixera un barème pour réparer nos peines, nos douleurs morales ? Les magistrats, policiers et gendarmes, qui ont rempli leur devoir de protection de l’Etat, se sentent humiliés. La situation sera encore plus regrettable si ces hordes de démolisseurs reprennent du service avec de sinistres actes contre les personnes, les biens privés et publics, mais surtout contre les institutions. A chaque fois qu’ils nous casseront la gueule, nous nous souviendrons que c’est Macky Sall qui nous aura laissés avec cette gangrène et qui se la coule douce dans son exil au Maroc. Que nous nous le tenions pour dit, Ousmane Sonko a déjà préparé ses gens à contester violemment les résultats d’une élection que Bassirou Diomaye Faye ne gagnerait pas !
Cette libération devrait-elle constituer un obstacle de plus sur la route de la campagne de Amadou Ba ? Tout porte à le croire, mais on peut leur trouver une certaine vertu. Si d’aventure les électeurs choisissaient Bassirou Diomaye Faye, ils le feraient en pleine connaissance de cause. Nul ne pourra invoquer avoir voté à l’aveuglette et ne rien savoir du candidat, de ses idées, de ses lacunes et carences, comme excuse ou circonstance atténuante. En effet, l’implication dans la campagne des principales têtes de file de la campagne «Diomaye Président» a permis de mieux mesurer l’impréparation et la vacuité du discours de ces personnes qui aspirent aux plus hautes fonctions. A chaque fois que leur poulain ouvre la bouche, bien des électeurs réalisent l’hérésie de songer à confier le destin du pays à un tel personnage. «Il aurait été peut-être mieux qu’il ne prenne plus la parole», regrette un membre du directoire de campagne. Finalement, les spin-doctors vont essayer de faire parler leur candidat le moins possible, pour lui éviter de proférer des énormités. Gaffer est aussi le côté pittoresque d’une campagne électorale. Pas un mot de compassion pour les victimes décédées, mais Ousmane Sonko, narcissique et égocentrique à souhait, pousse l’indécence jusqu’à parler de son grand confort en prison avec une «suite» (présidentielle ?) qui a pu abriter des nuits de noces avec une nouvelle épouse, troisième du rang. Il ne nous apprend rien car tout Dakar avait pu voir à partir des appels vidéo du lugubre entremetteur malien, Ousmane Yara, la couleur rouge des fauteuils de la «Suite» pénitentiaire de Ousmane Sonko à la prison du Cap Manuel. Le pauvre Bassirou Diomaye Faye restait cloitré dans un 9 mètres carrés (Ousmane Sonko dixit) jusqu’à appeler au secours Amadou, le fils de Macky Sall ! C’est lui-même qui le dit. Le temps des confessions. Ousmane Sonko, pour sa part, a révélé avoir discuté et demandé au Président Macky Sall de rester au pouvoir. Il avoue donc faire partie du groupe de conjurés du report de l’élection présidentielle. Il acte ainsi publiquement son protocole du Cap Manuel, lui qui se gaussait des protocoles de Rebeuss ou de Doha, pour tourner en dérision ses rivaux Idrissa Seck, Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade. Comme pour remuer le couteau dans la plaie, Ousmane Sonko et sa bande se considèrent comme des victimes et certains demandent à l’Etat des réparations. Ousmane Sonko avait attrait le Sénégal devant la Cour de justice de la Cedeao pour demander réparation de préjudices à lui causés, pour la rondelette somme de 1500 milliards de francs, à savoir 25% du budget annuel du pays.
Un beau bilan abîmé
«Quand on rate sa sortie, c’est aussi triste que de ne pas réussir sa mission» (Carlos Ghosn). On reprochera toujours à Macky Sall d’avoir cherché à torpiller le processus électoral, pour avoir demandé à sa majorité parlementaire et à son parti d’endosser toutes les initiatives de Karim Wade tendant à empêcher la tenue de l’élection présidentielle. Si cette élection aura pu se tenir, c’est parce qu’ils n’y ont pas réussi, freinés par des institutions fortes de l’Etat du Sénégal. Nous pouvons nous féliciter de ce qu’au Sénégal, un chef d’Etat, tout puissant qu’il puisse être, ne peut confisquer le processus démocratique. On l’avait observé avec Abdoulaye Wade en 2012, et une nouvelle fois avec Macky Sall en 2024. Seulement, on ne peut ne pas être en rage de constater que le Président Macky Sall, qui avait réussi à se tailler la plus belle des images en Afrique et dans le monde, arrive à devoir raser les murs, simplement parce qu’il a tenté le mauvais coup de trop. Cela est d’autant plus regrettable que des amis ont eu à chercher à l’arrêter, pour ne pas dire à le sauver de lui-même et d’un entourage nocif. Quand on voit la qualité des personnels politiques qui ont voulu entonner avec lui la chanson du report de l’élection présidentielle, on réalise bien le grand niveau de fourvoiement. D’aucuns comme moi, pourront se consoler, considérant qu’il n’avait plus tous ses esprits. C’est sans doute une explication commode. Qu’à cela ne tienne !